Falk Richter

(1969-

Allemagne

Nothing Hurts
Deux hommes et deux femmes se retrouvent dans un lieu non-identifié ,à une heure pâle, pour encore se faire vivre , s'inventer et raconter des histoires, réelles ou fictionnelles ou pour être plus exact, sans savoir précisément où est encore le réel et s'ils sont dans le fictionnel. C'est une sorte d'"after" suspendue sur de l'électro. L'after d'une nuit floue parce qu'on ne sait plus bien ce qui s'est passé , ni si on existe encore, ni même qui on est. C'est une proposition post-traumatique, comme après un accident de voiture, dans ce moment d'hébétude où on tâte son corps, où l'autre est une ombre attirante ou repoussante, où l'on tente de se faire vivre encore un peu, en se créant un ailleurs mental fantasmé. C'est tenter de se décoller de son corps. C'est tenter de décoller tout court.

Le sujet de notre version de Nothing Hurts est l'histoire de gens qui s'injectent de la fiction comme une drogue pour pouvoir encore ressentir quelque chose. Et qui s'accompagnent dans leurs solitudes respectives. C'est-à-dire que ça raconte encore le lieu d'une solidarité, et même d'un certain romantisme ; peut-être d'une génération insatisfaite parce qu'on la vide de son sens. Peut-être d'un début de fin d'humanité... Les clichés visuels que ces personnages décrivent sont ceux des films d'aujourd'hui mais aussi d'hier. Ils sont à la fois beaux, terribles et ridicules. Le spectacle est donné sans cynisme et sans jugement. Ce n'est pas un travail qui vient faire la morale ou de la socio-culture sur les jeunes mais c'est une proposition qui vient explorer de l'intérieur une forme de désespérance.

Nothing Hurts est une forme de happening textuel qui doit dépasser sa simple représentation. C'est à dire que c'est une proposition poétique construite comme un rêve sous LSD dans un environnement brut. Le happening s'inscrit en échappées fictionnelles sur de la musique électro ininterrompue et pourtant le "réel" est bien là, avec l'absence de sens concret, c'est à dire de ressenti, de dire "je t'aime" ou de vouloir "être proche" ou de pouvoir encore s'identifier physiquement dans son corps. Les acteurs y sont transfigurés par les histoires qu'ils produisent comme dans l'instant et le spectateur lui-même est embarqué comme par un shoot dans un voyage subconscient. Pour renforcer l'effet, cette proposition doit être posée dans une "scénographie naturelle", c'est à dire un espace où il est possible que l'on "oublie" qu'on est au théâtre. Donc la proposition n'utilise aucun artifice théâtral (pas de projecteur, de musique lancée en off, de régie, pas de "costumes" à proprement dit, pas de maquillage...)

Cet happening s'adresse à toute personne curieuse de vivre une expérience théâtrale singulière pour peu qu'elle ne veuille pas être plus fort que le spectacle. La spectacle ,lui, n'est pas plus fort que le public. C'est une possibilité de double abandon.

Auteur et metteur en scène allemand, Falk Richter fait partie de cette génération d’auteurs d’après 89, d’après la chute du mur. Une génération imprégnée des échecs et des compromissions de la génération précédente et qui, à travers une écriture subjective tente de décortiquer les données d’un monde où le vrai est de plus en plus difficile à distinguer du faux.
Après des études de mise en scène auprès de Jürgen Flimm, Jutta Hoffmann et Peter Sellars à l’université de Hambourg, Falk Richter travaille à partir de 1996 comme auteur, traducteur et metteur en scène, entre autres à la Schauspielhaus de Hambourg, à l’Opéra d’État de Hambourg, à la Schaubühne de Berlin, à la Schauspielhaus de Zürich. Sa première pièce Alles. Ein Nachtest est jouée pour la première fois en 1996 aux Kammerspielen de Hambourg. Ont suivi les créations de Kult et Histoire pour une génération virtuelle (Trilogie) à la Schauspielhaus de Düsseldorf. Ses autres pièces : Dieu est un DJ (1998) est jouée dans plus de quinze langues, Nothing Hurts est invité aux Rencontres théâtrales de Berlin en mai 2000 et reçoit le premier prix de l’Académie allemande des Arts à Berlin en 2001 et Peace est montée à la Schaubühne de Berlin en 2000. Entre la saison 2000/2001 et la saison 2003/2004, Richter a été metteur en scène en résidence au Schauspielhaus de Zurich.
Actuellement, il participe régulièrement, comme metteur en scène indépendant de ses propres pièces et de celles d’autres auteurs, aux activités du Deutsches Schauspielhaus de Hambourg et de la Schaubühne Berlin où il a aussi monté sa tétralogie Das System.

Prix, distinctions :
• Invitation aux Theatertreffen 2000 de Berlin avec Nothing hurts
• Prix de la pièce radiophonique de la Deutsche Akademie der Künste (Académie allemande des Beaux-Arts)
• Invitation aux Journées Théâtrales de Mülheim 2004 avec Electronic City

Hôtel Palestine. Electronic city. Sous la glace., Le système.
Le décor planté dans ces textes est totalement contemporain. D’aujourd’hui et pas d’hier. Falk Richter se rend en aventurier de l’esprit sur les champs de bataille qui nous entourent. D’une conférence de presse à l’Hôtel Palestine de Bagdad à la "ville électronique" en passant par un bureau de management, il nous mène au coeur du problème : le système.
Pour commencer, si vous faites partie qui de ceux qui tirent leur savoir des institutions télévisuelles normales, hé bien vous savez à peu près autant sur notre système que le paysan irakien, lorsqu’on lui a dit aux informations, trois jours avant la chute de Bagdad : "Nous avons tout en main, tout est sous contrôle, l’ennemi est battu", il se peut que notre système s’effondre dans très peu de temps, il y a tant de choses qui s’effondrent, tous ces fonds d’investissement dans lesquels j’ai investi mon argent, vous aussi sûrement, qui n’a pas essayé, tout ça avait l’air tellement formidable [...] et maintenant, dommage, dommage, tout a changé, je n’ai plus rien, j’ai presque tout perdu, on revient à la case départ...

Sous la glace.

« Accepter le risque. Créer du possible. Proposer sa créativité. Capitaliser les opportunités du marché. Mettre en avant son excellence dans tous les domaines. Construire ses phrases de façon à provoquer l’enthousiasme de l’interlocuteur… » Des phrases comme celles-là, d’autres pareilles, des phrases à vous glacer le sang font partie de l’univers quotidien de l’entreprise entreprenante. De celle qui veut gagner. A n’importe quel prix. Même à celui de la destruction de ses propres employés. C’est ce qui va arriver aux trois consultants de Sous la glace. Ils auraient pu continuer longtemps à parler la « novlangue » de l’entreprise, à penser la pensée de l’entreprise, à vivre la vie de l’entreprise, à aller d’aéroport en réunion d’évaluation, à jouer au Roi Lion, à vouloir faire un pas en avant. Mais l’angoisse s’empare d’eux. Ils se sentent pris dans le piège schizophrénique de la société néo-libérale et sur-moderne dans laquelle ils vivent. Ils se mettent à monologuer. A plonger dans leurs peurs, leurs fantasmes, leur solitude. A vouloir arrêter le temps. A vouloir du sens. Du sens à leur vie. Au monde. Ils souhaiteraient trouver un reste de beauté et d’harmonie et d’autres choses encore. En suivant le parcours parallèle de ces trois personnages solitaires, à la fois victimes et bourreaux d’une société régie par les lois du marché, Falk Richter, dramaturge et metteur en scène allemand (invité régulièrement à présenter son travail à la fameuse Schaubühne de Berlin) propose une fantaisie lyrique, poétique, mordante, humoristique sur le monde de l’entreprise, la destruction de l’individu, la complaisance et l’acceptation tacite de chacun face à un système politique de plus en plus complexe et abstrait. A travers une écriture et une mise en scène très rythmiques qui se nourrissent autant des passions contemporaines que du travail avec les acteurs, il observe la société allemande et européenne et tente de décortiquer les données d’un monde où le vrai est de plus en plus difficile à distinguer du faux.

Trust / 2010

Falk Richter et Anouk van Dijk ont tous deux pour habitude de porter un regard curieux et incisif sur la société qui les entoure. Leur nouvelle création, Trust, s'interroge donc très naturellement sur la façon dont les comportements humains, en particulier relationnels, sont affectés par la crise économique que nous subissons de plein fouet. Si nous ne pouvons plus avoir confiance dans la valeur argent, ni dans les institutions financières qui dirigent le monde mais n'assurent plus la préservation d'un système juste et rassurant, pourquoi notre confiance ne serait-elle pas ébranlée dans notre vie sentimentale et nos rapports aux autres ? Force est de constater que nos relations voient le jour et se désintègrent dans des laps de temps de plus en plus courts, alimentant une course effrénée au sentiment. D'autant que l'image de l'être humain véhiculée au cours des dernières années a radicalement accentué l'individualisme et célébré l'idéal de liberté. Sur le plateau, mêlant monologues et dialogues composés d'échanges rapides, de phrases brèves, de répétitions et de croisements, l'écriture de Falk Richter entre en prise directe avec le travail chorégraphique d'Anouk van Dijk, qui invente un ballet incessant de chutes, de glissades, d'échappements et de retrouvailles. Même humour, même distanciation, même virtuosité pour révéler les questionnements auxquels nous sommes confrontés dans un environnement bouleversé ; même désir de pousser, parfois jusqu'à l'absurde, les situations de rupture et d'accouplement. On se surprend à rire de ces êtres qui veulent tout acheter et tout vendre, qui ne savent même plus qui ils sont, qui ne se reconnaissent plus alors qu'ils ont visiblement eu une longue histoire ensemble et paraissent voués à un destin de pantin. Folie théâtrale, à la fois drôle et terrifiante, Trust se vit comme la chronique d'un monde déboussolé, racontée par deux artistes tout à la fois critiques et généreux.

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